Les méandres de la cartographie
Avant de commencer, je voudrais préciser que tout ce qui suit est du plagiat. Je ne l’ai pas sucé de mon pouce. Je l’ai trouvé dans le livre «
Motorcycle Fuel Injection » de Jens Lycx, lequel m’a donné l’autorisation d’en publier certains passages et schémas.
Le programme d’injection air/essence incorporé dans ce qu’on appelle l’ECU est préétabli, calculé pour un certain type de moto en fonction du nombre de tours/minute et de l’ouverture de la poignée des gaz, laquelle sur les motos modernes est appelée
ride-by-wire, parce qu’elle est contrôlée par un module électronique genre potentiomètre et non plus par des câbles. La quantité d’air/essence à chaque position de la poignée est prédéfinie dans la cartographie.
Il faut voir cette carte comme un échiquier de 16 x 16 cases avec sur l’axe vertical l’ouverture de la poignée des gaz (Og) et sur l’axe horizontal le nombre de tours minute (T/m). L’image ci-dessous en est un exemple.
L’ECU regarde une de ces cellules qui correspond à un moment donné aux T/m et Og et chaque cellule contient des informations sur la quantité et sur la durée de temps que l’injecteur d’essence doit rester ouvert.
Vous voyez bien que les cellules du bas, à gauche, sont très près l’une de l’autre lorsque les T/m et l’Og sont faibles. Ce sont les surfaces les moins faciles à contrôler. Le moindre changement de T/m ou de Og exige de changer de cellule pour garder le mélange air/essence stable.
La quantité d’essence injectée dépend de la durée de l’ouverture de l’injecteur, laquelle varie en fonction du nombre de T/m et de l’Og pour garder un mélange air/essence stable. Ces durées sont précalculées et stockées dans le programme.
Voici une carte en 3D qui représente le mélange air/essence (AFR = air/fuel ratio) sur laquelle nous voyons bien qu’il est stable à une valeur de 14,4 :1
Mais cette carte représente une situation idéale, celle qui, quelle que soit le nombre de T/m, quelle que soit l’Og, garde un mélange absolument stable à 14,4 :1. Dans la réalité, ce mélange varie entre 14,3 : 1 et 14,5 : 1 (dans ce cas de figure !), comme le montre la carte suivante :
Cette carte, présente sur toutes les motos depuis 2007, représente assez bien la réalité. Un mélange de 14,4 : 1 n’est peut-être pas l’idéal, mais la carte en elle-même est faite avec un haut degré de précision. Ce n’est pas la carte de la T120 ou d’un autre modèle ! Pour chaque moto la durée d’ouverture des injecteurs varie ; le nombre maximum de T/m et l’Og aussi !
Si le mélange varie au-delà de ces valeurs, vers le haut ou vers le bas, il y aura des trous à l’accélération, des hésitations, des ratés, des pétarades, du calage et une augmentation de la consommation. Tout dépend en fait de la compétence des ingénieurs qui ont élaboré le programme, si ce dernier correspond bien à la cylindrée, au type de moto, … si le nombre de T/m et l’Og sont bien en concordance avec la quantité de mélange et avec la durée d’ouverture des injecteurs. Des cartographies comme celle ci-dessous n’étaient pas rares à leurs débuts, raison pour laquelle certaines motos se sont avérées de vrais cauchemars :
Pour un nombre de T/m et une Og donnés, l’ECU regarde son programme, y trouve la cellule adéquate pour y trouver la réponse à la question : quelle est quantité de mélange air/essence à injecter et pendant combien de temps ? À ce moment même, il est lui-même contrôlé par des gendarmes, en l’occurrence les capteurs de température, de pression, … pour qu’il ajuste la quantité et la durée de l’injection en fonction de ces paramètres (température ambiante, température d’huile, …). Cette quantité et cette durée sont précalculés et prédéterminés ! L’ECU ne reçoit aucun feedback pour savoir si cette quantité et cette durée sont adaptées aux conditions réelles. C’est le circuit ouvert dont je parlais précédemment.
Du fait des tolérances de fabrication des différents composants, qui peuvent atteindre 8% vers le haut et 8% vers le bas, une moto pourrait être :
soit dans les normes ; soit rouler trop pauvre avec tous les inconvénients que cela implique, y compris la casse à court terme ; soit rouler trop riche et consommer de trop.
Depuis 2007, cette situation devenait inacceptable, illégale vu les normes antipollution. Il fallait trouver un moyen pour contrôler d’avantage cette combustion à circuit ouvert et pour corriger les éventuelles tolérances hors-limites. Il n’y avait qu’un moyen de le faire : contrôler les gaz d’échappements, y ajouter un capteur, qui contrôlerait en finale la quantité du mélange et la durée d’ouverture des injecteurs. Les sondes lambda étaient nées et à vitesse stabilisée, à certains nombres de T/m et de Og, la moto roule en circuit fermé, c’est-à-dire, contrôlée.
La sonde lambda intervient dès que les conditions sont stables, endéans les quelques secondes (de 1,2 à 2,6 sec.), mais dès que les conditions changent pendant quelques secondes elle envoie soit un message à l’ECU pour qu’il regarde une autre cellule, soit se met hors-circuit pour laisser l’ECU faire ce qu’il veut. La moto roule donc alternativement, en fonction des conditions stables ou non, selon un circuit ouvert ou fermé.
Retournez maintenant voir la première carte avec les cellules. Regardez la cellule entre 3700 et 4700T/m et entre 57 et 70%. Sa surface est grande = le nombre de T/m et l’Og peuvent changer dans une grande plage tout en gardant un mélange air/essence stable. Dans les petites cellules du bas à gauche par contre, les surfaces sont minuscules = dès que le nombre de T/m ou l’Og change un tout petit peu, l’ECU doit changer le mélange et la durée d’injection. Dans ces cellules-là, l’ECU est tourné en bourrique constamment, tout change tellement vite : où doit-il regarder ? Résultats : ratés, hésitations, à-coups.
J’espère que ce tout petit texte vous aura aidé à mieux comprendre ce qu’est une cartographie et ses acolytes et comment ils fonctionnent. Si ce n’est pas le cas, c’est que j’ai perdu de mes moyens d’enseigner.